Ces fuites individuelles ou exodes massives ont toujours suscité des représentations contrastées autour de la figure du " refugié ".

Ce sont des destins tragiques, souvent méconnus, qui provoquent autant de peur que de sympathie.

" Rester, c'est prendre le risque de mourir, partir c'est vivre ", écrivait un exilé.

Car oui, s'exiler c'est avant tout sauver sa tête dans ce choix cornélien entre deux deuils : rester ou partir.

Il s'agit de s'échapper au plus vite et dans n'importe quelle condition.

Et cela provoque un choc qui ébranle la continuité de la vie et du temps qui la construit.

Quitter son " chez soi " contraint et forcé, confronte l'individu à une perte majeure. La précipitation du voyage, abandonner les siens et son appartenance.

C'est une expérience existentielle remettant en cause la fondation d'un individu dans son lien social. Et les troubles occasionnés comportent le risque sérieux de dislocation si on ne trouve pas d'hospitalité.

Après noël 1963, mon père prit le chemin de l'exil, trois gamins sur les bras. Son frère cadet n'aura pas eu cette chance. Fusillé à la sortie de l'Eglise le jour de noël. Tout un symbole !

Il aura tout abandonné, son quotidien, ses points de repères, son appartenance au groupe et son milieu social ; tout ce qu'il avait construit dans " son kamembe natal " où il avait ses racines et sa joie de vivre.

A minova, il y a eu la bienveillance de la famille Muliri, cette armature grâce à laquelle s'était inscrit et construit le renouveau.

Un élan affectif qui s'est gravé dans la durée et chez tous les enfants.

Il trouva en Constantin son " frère de substitution ". Sa mort devint une deuxième déchirure qu'il n'avait jamais digérée.

Les rares fois où j'ai vu ses yeux mouillé, la gorge nouée ; c'était lorsqu'il convoquait, au détour de sa peine, les souvenirs de ses deux frères. Gasesero et Constantin.

Heureusement, les liens tissés depuis lors sont devenus indélébiles et se transmettent désormais.

Nous sommes imprégnés de merveilleux souvenirs en partage avec Tonton Anselme, Da Fanny dans ses différents rôles aujourd'hui de maman, shanga et sœur et mon alter ego Osso. Ils sont très précieux.

On ne peut objectivement appréhender les résonnances de l'exil et les souffrances qu'il entraine.

A commencer par l'appartenance et l'identité qui deviennent des enjeux et le déracinement un problème sérieux.

De cette douloureuse expérience, on reconfigure les appartenances qui évoluent désormais entre plusieurs espaces renforçant l'hybridité de la condition.

Ceci pousse, sciemment ou non, à interroger en permanence son identité.

Eprouvant ainsi un obscur sentiment de culpabilité pour aller à la rencontre d'une autre culture et l'envie de l'intégration.

Mais comment surmonter les déchirements et les humiliations de l'exil ?

Qui inspirent plus que tout le mal du pays et entrainent la mélancolie de tout un monde qu'on a abandonné en partant.

Ce tourment de la séparation, la hantise de la paperasse, l'insécurité sous toutes ses formes et l'angoisse, chevillées au corps.

Et très tôt, on réalise qu'il y a des deuils qu'on ne peut jamais faire.

Ça prend du temps pour se remettre de cette coupure brutale. Est-ce qu'on s'en remet vraiment ?

Comme dirait Anne Roumanoff : " Ça se discute " !

On se bat contre la vie et sa solitude pour sauver la sienne : sa vie !

Un ancien exilé s'interrogeait sur " qui il est, quelle identité s'est formée en lui au fil des épreuves ".

En France, c'est l'apprentissage du métro, du bus, du train, du bruit dans les gares, de la vie en appartement, du stress de qui va le plus vite. C'est les tâches ménagères, mais aussi des saisons dont la dureté de l'hiver et ses effets.

Sans oublié le permis de séjour et la file interminable à la préfecture, la recherche d'emploi et les ambiguïtés dans le racisme rampant des actes du quotidien.

Pour les chrétiens, la vie de Jacob est pour sa grande part une vie d'exilé.

Quand la haine de son frère Ésaü se déploie dans la violence meurtrière entre eux, leur mère Rebecca veille à faire partir Jacob sur le chemin de l'exil.

Dostoïevski écrivait : " Ce n'est pas sans effets funestes qu'on devient étranger à son pays ".

L'exil n'est pas une question de l'avoir mais d'être. Là réside tout son sens et sa complexité.

L'exil est une réalité de souffrance souvent mal vécue et ainsi donc mal pensée. Quel paradoxe !

C'est une fracture et une perte. Ce départ, souvent forcé, fait entrer dans un mode de vie diffèrent, avec un lieu différent et des personnes différentes.

On compte alors son temps qui est d'une durée indéterminée ou les regrets chevauchent avec l'espoir.

Un exilé se nourrit de cet impossible espoir de retour !

Ce regret englobe les souvenirs de l'existence passée avec et au milieu des siens.

Assumer l'exil dans un autre pays, dans un cadre culturel et social est un défi qui laisse des traces invisibles non seulement chez l'exilé mais chez ses enfants.

Dans une correspondance, un exilé écrivait ceci : " je ne veux pas être ou je suis et je ne puis être où je veux " !

Là réside la douleur de l'exil.

Car l'exil est un voyage éprouvant, incertain et redoutable. Mais avec la promesse divine de l'esprit saint qui tient compagnie.

N'est-ce pas ce que l'on entend par la foi, l'espérance et la dignité des exilés ?

Malgré la dureté de cette vie, dans ces combats à mener tout au long de ce parcours, cette foi renforce l'espérance de l'exilé.

Le destin ne peut ne peut s'acharner une vie durant. Derrière le gros nuage, pointe parfois des rayons de soleil avec à la clé le retour !

Tite Gatabazi



Source : http://fr.igihe.com/Douleur-de-l-exil.html