Le Professeur Gregory Stanton, expert en prévention du génocide et professeur de droit, entra dans le bureau du président de l'époque, Juvenal Habyarimana, avec un message capital : le Rwanda court un grave danger de génocide. Après des années d'étude des mécanismes de la violence de masse, Stanton était convaincu que le pays présentait tous les signes d'une catastrophe imminente.
Le message de Stanton était clair : avertir Habyarimana de la menace imminente et inciter à une action préventive. Parmi ses recommandations essentielles figurait l'abolition des classifications ethniques sur les cartes d'identité, qu'il considérait comme un facteur majeur alimentant la division et la violence. Cependant, ses appels furent rejetés, et, moins de cinq ans plus tard, le Rwanda sombra dans l'horreur du génocide contre les Tutsi.
Le Professeur Stanton est revenu sur cette rencontre avec le président Habyarimana, soulignant l'indifférence face à ses avertissements. Il a décrit que son appel à l'action, formulé avec une profonde conviction et fondé sur des années de recherche, avait été totalement ignoré.
Le cadre des " Huit étapes du génocide ", une théorie élaborée par Stanton, identifie la classification ethnique comme la première étape dangereuse vers un génocide. Ces étapes décrivent le processus par lequel un groupe peut être systématiquement stigmatisé et éliminé. Stanton avait donc recommandé la suppression des mentions ethniques ("Tutsi", "Hutu", "Twa") sur les cartes d'identité, mais ses préoccupations ne furent pas prises en compte.
"À moins que vous ne preniez des mesures très fortes pour prévenir un génocide ici, vous allez avoir un génocide au Rwanda dans les cinq années à venir", avait averti Stanton. Mais ses avertissements se sont avérés vains. En 1994, le Rwanda s'enfonça dans l'un des génocides les plus rapides et les plus systématiques de l'histoire, faisant plus d'un million de victimes Tutsi en l'espace de 100 jours.
La tragédie du génocide contre les Tutsi, qui a dévasté le pays en 1994, a tragiquement confirmé les prédictions de Stanton. Aucun des signes avant-coureurs qu'il avait identifiés n'a été pris en compte. À ce moment-là, Stanton avait rejoint le Département d'État des États-Unis et avait été envoyé en mission pour les Nations Unies, où il a contribué à la mise en place de la Commission d'enquête internationale sur le génocide et à la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
Malgré ces efforts, l'ampleur de la catastrophe reste une douleur lancinante. Stanton se souvient de l'impact émotionnel de ses visites au Rwanda après le génocide. "Le Rwanda n'a pas seulement surmonté son passé, il est devenu un modèle mondial de réconciliation et de reconstruction", a-t-il déclaré lors de son récent voyage. Aujourd'hui, le pays, autrefois fracturé par la violence, incarne la résilience et la possibilité de transformation.
Le Professeur Stanton a salué les progrès remarquables du Rwanda depuis la fin du génocide. "Le Rwanda, tout comme l'Allemagne, a fait face à son passé et est désormais un leader mondial dans la lutte contre l'ethnicité, en réaffirmant que nous faisons tous partie de la même race â" la race humaine", a-t-il affirmé. Il a souligné que la réconciliation nationale et la construction d'une société inclusive sont au cur du projet de reconstruction du pays.
Au cours des conférences à Kigali, Stanton a également abordé l'importance de l'inclusion des femmes dans les processus de paix et de gouvernance. Selon lui, la clé pour éviter les futurs génocides et conflits réside dans une représentation féminine plus forte au niveau des décisions politiques. "Je suis convaincu que le génocide et la guerre sont des problèmes masculins", a-t-il observé. "Il n'y a eu aucun génocide planifié par des femmes. Cela montre qu'il est nécessaire que davantage de femmes prennent les rênes des gouvernements dans le monde", a ajouté Stanton.
Aujourd'hui, le travail de Stanton se poursuit à travers Genocide Watch, une organisation qu'il a fondée pour identifier les signes avant-coureurs de génocides et encourager une action préventive rapide. Le cadre des "Huit étapes du génocide" est désormais largement utilisé pour sensibiliser les décideurs et les communautés à la nécessité de repérer et intervenir dès les premiers signes de violence.
Stanton a souligné que le Rwanda est un exemple précieux pour d'autres pays confrontés à des divisions internes. "Le Rwanda montre au monde entier comment surmonter les forces du génocide et de la guerre. Il est un modèle de guérison et de réconciliation", a-t-il conclu. Cependant, il n'a pas manqué de rappeler que les cicatrices du génocide ne disparaîtront jamais complètement, mais que l'histoire du pays démontre qu'une nation peut se reconstruire sur les ruines de la violence.
Son héritage au Rwanda est complexe et empreint de tristesse. Les avertissements qu'il avait donnés il y a plusieurs décennies étaient fondés, mais la tragédie qui a suivi montre à quel point il est crucial d'agir avant qu'il ne soit trop tard. "Le génocide contre les Tutsi au Rwanda n'est pas qu'une cicatrice dans la conscience de l'humanité, mais un enseignement pour éviter que d'autres nations ne succombent à la même folie", conclut Stanton.
Pour le Professeur Stanton, le Rwanda demeure à la fois un avertissement tragique et une source d'inspiration. Si les signes avant-coureurs du génocide sont ignorés, les conséquences peuvent être catastrophiques. Cependant, l'histoire du pays démontre qu'il est possible de se relever des cendres de la destruction et de se reconstruire, offrant ainsi un puissant exemple de résilience et de réconciliation.
Alain Bertrand Tunezerwe
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