
Si le monde avait besoin d'un rappel que la rhétorique irresponsable trouve encore un écho jusque dans les plus hautes sphères, il l'a reçu comme un couperet, le 16 avril 2025, lors de la 9899e séance du Conseil de sécurité des Nations unies.
Debout devant l'organe diplomatique le plus puissant du monde, Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo (RDC) auprès de l'ONU, s'est fendue d'une déclaration stupéfiante : il y aurait eu un génocide contre les Hutu en 1994.
Ce n'était ni une théorie du complot marginale sur Twitter, ni le délire d'un pseudo-historien derrière son clavier sur YouTube. C'était une haute diplomate d'un État souverain â" siégeant sur un continent encore marqué par les cicatrices de véritables génocides â" qui s'exprimait dans la plus haute enceinte diplomatique du monde. L'absence de honte est sidérante. Les implications, profondément troublantes.
Oui. Elle l'a bel et bien dit. Dans l'enceinte même qui devrait incarner le summum de l'intégrité historique à l'échelle mondiale, une haute diplomate d'un État membre de l'ONU s'est levée pour réécrire l'un des génocides les mieux documentés de l'histoire contemporaine. Ce n'était pas un lapsus. Ce n'était pas une erreur d'interprétation. C'était une révision de l'histoire assumée, délibérée et sans la moindre excuse.
Kayikwamba a choisi de piétiner les faits historiques établis, reprenant à son compte l'un des arguments les plus toxiques des négationnistes et idéologues du génocide, ceux-là mêmes qui s'efforcent depuis longtemps de réécrire le passé et de faire porter la faute aux victimes. C'était un acte calculé, du genre à alimenter le récit tordu de ceux qui continuent de défendre ou de justifier le génocide de 1994 et ses auteurs.
Ce n'est pas seulement que sa déclaration était un mensonge â" c'était un mensonge dangereux, irresponsable et profondément offensant. Une tentative absurde d'effacer le Génocide contre les Tutsi au Rwanda, reconnu par l'ONU elle-même, au cours duquel plus d'un million de personnes ont été massacrées en seulement 100 jours.
Il n'y a aucune ambiguïté. Aucun débat académique. Aucune subtilité derrière laquelle se retrancher. Et pourtant, nous en sommes là, avec une ministre congolaise pérorant comme si l'histoire était une tabula rasa sur laquelle elle pouvait gribouiller les graffitis idéologiques de son choix.
Et pourtant, aucun marteau n'a retenti. Aucun rappel à l'ordre de la part du Secrétaire général de l'ONU. Aucun membre du Conseil n'a exigé de rétractation. Le silence. Un silence assourdissant.
Parce qu'apparemment, lorsqu'il s'agit de la RDC et de ses responsables, même les fabrications les plus insultantes et révisionnistes sur le plan historique peuvent passer pour un discours politique légitime. C'est désormais devenu une tradition macabre : les responsables congolais ne déçoivent jamais lorsqu'il s'agit de dire n'importe quoi, aussi honteux, embarrassant ou grotesquement faux soit-il.
Mais tout n'est pas que déraison et renoncements
Deux jours plus tard, la raison a brièvement refait surface sur la plateforme X. Le diplomate burundais Fred Ngoga a dénoncé la déformation grotesque de la vérité par Kayikwamba et l'a publiquement interpellée :
" Ma sur @RDCongoMAE, ceci est factuellement faux. Notre président à l'époque était Sylvestre Ntibantunganya, un Hutu. D'autre part, lisez le rapport de l'ONU. Il n'y a pas eu de génocide contre notre population hutue au Burundi, point. Essayez-vous de monter nos communautés les unes contre les autres ? Je vous prie de retirer cette déclaration ! "
Le message de Ngoga était digne, précis et fondé sur la vérité historique. Il n'a pas mâché ses mots. Il a défendu la vérité dans une région qui saigne depuis bien trop longtemps à cause de mensonges politiques et d'incitations ethniques.
Mais ensuite est venu le véritable théâtre de l'absurde. L'ambassadeur du Burundi en Éthiopie et auprès de l'Union africaine, Willy Nyamitwe, a surgi non pas pour saluer la défense de la vérité et de l'harmonie régionale par son compatriote, mais pour le réprimander. Oui, le réprimander.
" M. @NgogaFred travaille au sein du département des Affaires politiques, de la paix et de la sécurité de @_AfricanUnion (@AUC_PAPS). Il devrait incarner l'impartialité de l'Union africaine ainsi que son engagement pour la diplomatie et la prévention des conflits. Son rôle n'est pas d'alimenter la rhétorique politique contre un État membre souverain. "
Et nous en sommes là. Un diplomate chevronné est rappelé à l'ordre non pas pour avoir menti, mais pour avoir dit la vérité. Selon Nyamitwe, la vérité serait désormais de la " rhétorique politique ", et la souveraineté â" ce bouclier si pratique â" deviendrait la feuille de vigne derrière laquelle il faudrait cacher l'impunité et la malhonnêteté.
On en vient à se demander : l'Union africaine est-elle devenue un autel sur lequel on sacrifie les faits pour protéger l'incompétence ?
Ce qui aurait dû déclencher un rappel à l'ordre immédiat de la part du président du Conseil de sécurité ou une mise au point du Secrétaire général de l'ONU n'a suscité aucune réaction. Aucune clarification. Aucun blâme. Aucune inquiétude.
Lorsque la RDC agit, le monde semble accorder un passe-droit à la médiocrité.
Essayer de comprendre l'absurde
Ce à quoi nous assistons ici semble être un cas d'école de délire dissociatif aggravé par une psychose idéologique.
Selon les travaux de Robert J. Lifton et Eric Markusen sur la mentalité génocidaire, ce type de délire s'accompagne souvent d'un " engourdissement psychique ", où le bourreau ou son sympathisant devient insensible aux faits, remplace le traumatisme par le mythe, et substitue l'histoire réelle par la fantaisie afin de justifier la haine. L'affirmation de la ministre suggère qu'elle n'opère pas dans une réalité fondée sur les faits, mais dans un Congo-verse parallèle.
D'après ce que j'observe depuis un certain temps, il faut reconnaître que la politique étrangère de la RDC est devenue un véritable manuel de l'instrumentalisation de l'absurde. Sous la présidence de Félix Tshisekedi, le ministère des Affaires étrangères s'est transformé en machine de guerre linguistique, conçue pour masquer les échecs nationaux en attaquant les vérités les plus fondamentales.
Si les routes sont impraticables, si l'économie s'effondre, si l'est du pays est ravagé par les milices, alors blâmons le Rwanda. Et si la réalité gêne, on invente un génocide imaginaire au Burundi pour créer une fausse symétrie morale. Car rien ne dit mieux " crédibilité diplomatique " qu'une falsification historique.
Un ami juriste international m'a récemment confié : " La négation du génocide est un crime en droit international. Il en va de même pour sa banalisation. Ce que Mme Wagner a fait revient à jeter un cocktail Molotov diplomatique dans une région déjà meurtrie. Elle n'a pas simplement dérapé : elle a violé l'esprit même de la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, en mettant sur un pied d'égalité les bourreaux et leurs victimes. "
Soyons clairs : en 1994, il y a eu un génocide au Rwanda. Les victimes étaient les Tutsi. Ce génocide fut planifié, exécuté, documenté. Au Burundi, en revanche, il n'y a pas eu de génocide contre les Hutu cette année-là.
Le président du Burundi en 1994, Sylvestre Ntibantunganya, était lui-même Hutu. Prétendre le contraire ne relève pas de l'erreur, mais du vandalisme historique. Si un délégué s'était levé à l'ONU pour affirmer qu'un génocide avait été commis contre les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, il serait immédiatement expulsé de la salle et orienté vers un psychiatre . Pourquoi est-ce différent en Afrique ?
Ce que Kayikwamba Wagner a dit est le produit d'une diplomatie confiée à des populistes numériques et à des sympathisants de l'idéologie génocidaire. Il ne s'agit ni du Burundi, ni des Hutu. Il s'agit de diaboliser les Tutsi â" particulièrement les Tutsi rwandais â" en construisant une fausse équivalence entre la libération du Rwanda et la barbarie génocidaire.
Une partie de l'élite congolaise semble convaincue qu'il suffit de crier " Rwanda ! " pour faire oublier les FDLR, la corruption, les violences sexuelles de masse et les milliards détournés. Cela a fonctionné un temps. Désormais, nous voilà plongés dans le délire historique.
Pourtant, même un internaute moyen pourrait, en quelques clics, constater que le génocide contre les Tutsi est abondamment documenté : par les Nations unies, les ONG, les chercheurs, les tribunaux internationaux. Il a ses mémoriaux. Ses survivants. Ses auteurs condamnés. Ce n'est pas une controverse â" sauf pour Charles Onana ou certains cadres du ministère congolais des Affaires étrangères.
Mais Kayikwamba Wagner n'est pas une commentatrice de réseaux sociaux. Elle est diplômée de Harvard, ministre d'un pays de plus de 100 millions d'habitants. Et elle a sciemment choisi de fabriquer un génocide fictif au nom de la diplomatie.
Alors, posons la question : qu'est-ce qui l'a poussée à cela ?
S'agissait-il d'un accès de paranoïa ? D'un emballement conspirationniste remontant du palais présidentiel comme une vapeur toxique ? Non. C'est bien plus méthodique. Il s'agit d'une stratégie : banaliser la négation du génocide des Tutsi en tentant de lui opposer un crime fictif.
Dans tout autre pays, une telle déclaration aurait provoqué une crise diplomatique, des excuses officielles, voire des sanctions. En RDC, rien. Pas même une tentative d'imputer la déclaration à un piratage russe ou à une IA mal calibrée. Même pas une mise en scène grotesque accusant le Rwanda d'avoir manipulé le micro via le Wi-Fi.
Non. Ce qui a suivi, c'est un silence glacial. Un silence d'État. Comme si toute la machine institutionnelle avait prêté serment : quand nous mentons, nous mentons d'une seule voix.
Les leçons de Ngugi
Ce qui est pire encore que la sortie de Kayikwamba, c'est l'intervention de Nyamitwe, qui lui a prêté main-forte. Il n'a pas seulement plaidé pour une prétendue neutralité institutionnelle â" il a endossé le genre de silence qui nourrit les mensonges et protège les falsificateurs.
Son message résonne comme un écho de complicité, un murmure sorti des pages du Diable sur la croix de Ngugi wa Thiong'o, où l'auteur met en garde :
" Le Diable, qui nous entraînerait dans l'aveuglement du cur et la surdité de l'esprit, doit être crucifié, et l'on doit veiller à ce que ses acolytes ne le descendent pas de la croix pour poursuivre leur uvre de construction de l'Enfer sur Terre. "
C'est exactement ce que font ces diplomates : ils décrochent le Diable de la croix, l'habillent de costumes taillés sur mesure, et le relâchent dans les enceintes internationales pour y semer la confusion. Ce n'est pas de la neutralité. Ce n'est pas de la diplomatie. Ce n'est même plus de la souveraineté. C'est l'abdication morale, la lâcheté politique en habits de gala, au service d'une solidarité tribale aveugle.
Cela soulève une question grave : si une telle falsification historique peut prospérer sans contestation au sein de l'ONU ou de l'Union africaine, que reste-t-il de crédibilité à ces institutions ? Comment la réconciliation peut-elle s'enraciner sur un sol aussi empoisonné par le mensonge ?
La déclaration de Kayikwamba n'est pas qu'une provocation. C'est un signal de ralliement lancé aux négationnistes et aux semeurs de haine. Et la réaction de Nyamitwe confirme à quel point certains diplomates africains préfèrent protéger leurs pairs que défendre la vérité.
Le gouvernement congolais a, depuis longtemps, recours aux boucs émissaires ethniques pour masquer son impuissance : insécurité chronique, corruption structurelle, délabrement économique⦠Tout peut être balayé d'un revers de main en criant " Rwanda ! ". Et quand la réalité dérange, on invente une fiction â" un génocide imaginaire au Burundi â" pour rééquilibrer le récit.
Quant au Burundi, il continue de marcher sur une corde raide, entre contradictions internes, impunité institutionnelle et diplomatie de connivence. En préférant protéger les révisionnistes plutôt que la vérité, ses représentants ne trahissent pas seulement leur peuple, ils compromettent l'avenir d'une région entière.
En réalité, le triste spectacle offert au Conseil de sécurité â" et la farce qui s'en est suivie en ligne â" ne résulte pas d'une simple erreur. Il incarne l'impunité arrogante de dirigeants pour qui falsifier l'histoire est une stratégie politique. Kayikwamba n'est pas une exception : elle est le produit d'un système qui a élevé le mensonge au rang d'instrument diplomatique.
Une farce régionale en pleine floraison
Que dire encore de cette classe politique congolaise et burundaise, qui traite la gouvernance comme une improvisation grotesque sur la scène mondiale ? Quand l'un trébuche à New York, l'autre chute à Addis-Abeba. La médiocrité devient un concours régional, avec la RDC et le Burundi en finale â" et un prix d'excellence pour celui qui défendra le mensonge avec le plus grand sérieux.
Kayikwamba est montée au Conseil de sécurité comme une actrice amateur débarquant sur une scène de Broadway, transformant le génocide contre les Tutsi en punchline diplomatique au nom de la souveraineté. Nyamitwe, de peur d'être éclipsé, s'est rué à sa défense â" non avec des faits, mais avec un sermon creux sur la neutralité, qui ferait rougir Ponce Pilate.
Et pendant ce temps, les institutions censées défendre la vérité â" l'ONU, l'Union africaine â" détournent poliment le regard, espérant que cette mascarade prenne fin avant l'entracte.
Faut-il vraiment croire que ce duo burlesque est à la hauteur des défis que traverse la région ? Des diplomates qui réécrivent l'histoire, s'applaudissent mutuellement pour leurs contre-vérités, et s'attaquent à ceux qui osent dire le vrai ? Ngugi wa Thiong'o n'aurait pu rêver meilleure illustration : le Diable, non seulement descendu de sa croix, mais honoré avec les insignes de la République.
Mais peut-être que le vrai drame est ailleurs : ce n'est pas que Kayikwamba ait tenu des propos révisionnistes. Ni que Nyamitwe l'ait soutenue. C'est que plus personne ne s'en étonne. La barre est si basse que dire la vérité est désormais un acte révolutionnaire. Dans cette farce politique, ce n'est pas le menteur qu'on interroge â" c'est l'homme honnête qu'on réprimande.
Bienvenue au cirque diplomatique des Grands Lacs : entre mensonges institutionnels et applaudissements complices, l'Enfer n'est plus à venir â" il figure déjà sur la liste des invités.
Soyons clairs : dans la catégorie des discours irresponsables et des abus de tribunes internationales, certains pays ont des champions toutes catégories.
D'un côté, la RDC, avec Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre des Affaires étrangères de titre, mais propagandiste de métier, qui foule aux pieds la vérité historique comme un simple décor de théâtre.
De l'autre, le Burundi, avec Willy Nyamitwe, ambassadeur zélé, qui préfère réprimander un compatriote honnête plutôt que défendre la mémoire d'un génocide reconnu par la communauté internationale.
À eux deux, ils composent un numéro de vaudeville diplomatique, où la fiction supplante les faits, et où l'indignité se drape dans le langage sacré de la souveraineté.
Il ne reste plus qu'à distribuer des trophées : à Kayikwamba, le " Gaffeur d'or du révisionnisme ", et à Nyamitwe, le " Prix diplomatique de la contorsion morale ".
Ce serait risible, si ce n'était aussi dangereux. Car ce qu'ils font n'est pas seulement honteux â" c'est délétère. Cela alimente la haine, brouille la mémoire, et sape chaque pas vers la paix dans les Grands Lacs.
Quand la politique devient si pervertie que la négation du génocide devient une position officielle, et que la vérité devient subversive, alors ce ne sont plus des nations que l'on gouverne â" c'est le chaos que l'on orchestre.
Et il est temps de le dire sans détour : ce n'est pas de l'art de gouverner. C'est de la stupidité d'État.
Si les dirigeants africains et les institutions internationales n'ont pas le courage de dénoncer la banalisation du génocide lorsqu'elle se produit sous leur propre toit, qu'ils ne s'étonnent pas que ces mensonges se transforment en violences futures.
À la RDC : cessez de manipuler le souvenir du génocide à des fins politiques. Votre peuple mérite mieux qu'un gouvernement qui transforme la vérité en fiction pour masquer ses échecs et ses crimes.
À la ministre Kayikwamba : l'histoire ne vous pardonnera pas. Vos paroles resteront comme une trahison honteuse des faits et une insulte à la mémoire des victimes d'un des crimes les plus atroces du XXe siècle.
À Fred Ngoga : merci d'avoir résisté, alors que tant d'autres se sont résignés à l'inaction.
À Willy Nyamitwe : la diplomatie sans principes n'est rien d'autre qu'une lâcheté en costume.
Et à l'ONU et à l'Union africaine : si vous ne défendez pas la vérité dans vos murs, ne soyez pas surpris que les mensonges finissent par mettre le feu à votre propre maison.

Tom Ndahiro
Source : https://fr.igihe.com/Le-drame-de-l-absurde-aux-Nations-unies.html
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