Lors d'un dîner d'État à la Maison-Blanche, le président américain a raillé ce qu'il considère comme une injustice historique : l'absence de reconnaissance internationale pour ce qu'il qualifie de " contribution décisive à la paix mondiale ".
" Je ne pense pas qu'un seul président ait arrêté une seule guerre. J'en ai arrêté huit en huit mois ", a-t-il lancé devant un parterre de convives, dans une formule à la fois théâtrale et calculée. Et de poursuivre, faussement incrédule : " Ai-je reçu un prix Nobel ? Non. Vous le croyez ? ".
Derrière le trait d'humour affleure une amertume tenace : celle d'un homme qui, au-delà des controverses qui l'entourent, estime que l'Histoire lui doit un chapitre moins trivial que celui réservé aux chroniqueurs de l'instant.
Le ressentiment d'un homme en quête de consécration
Le magnat de l'immobilier devenu chef d'État n'a jamais caché sa fascination pour les symboles de puissance et de légitimité internationale. Le Prix Nobel de la Paix, dans son imaginaire politique, ne se réduit pas à une médaille : il représente une consécration morale, un sceau d'immortalité réservé aux faiseurs d'Histoire.
Aussi, voir cette distinction couronner une opposante latino-américaine, aussi courageuse soit-elle, sans qu'aucune mention officielle ne soit faite à son propre rôle dans des processus de désescalade régionale, constitue pour lui une blessure d'ego à peine voilée.
" J'adore arrêter des guerres ", a-t-il résumé avec une désinvolture savamment étudiée. Dans la rhétorique trumpienne, l'hyperbole n'est jamais fortuite : elle vise à imprimer dans l'opinion publique une conviction simple, presque martelée, celle d'un homme providentiel ayant uvré pour la paix là où d'autres auraient échoué ou reculé.
Une narration stratégique à usage interne et externe
Au-delà du trait d'esprit, la déclaration de Trump obéit à une logique politique redoutablement efficace. Elle cherche à réinscrire son nom dans une temporalité héroïque, à quelques mois d'échéances électorales cruciales. Ses soutiens ne s'y sont d'ailleurs pas trompés : plusieurs d'entre eux ont déjà déposé sa candidature pour l'édition 2026 du prix Nobel, espérant capitaliser sur les accords de cessez-le-feu arrachés entre Hamas et Gouvernement d'Israël, avec l'appui affirmé du Premier ministre Benjamin Netanyahu et du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi.
Trump, maître dans l'art de scénariser sa propre légende, cultive cette image d'architecte de la paix contrarié par une élite internationale qu'il accuse, en creux, de partialité politique et idéologique. L'absence de reconnaissance du comité Nobel devient ainsi une preuve supplémentaire, aux yeux de ses partisans, de la supposée hostilité du " système " à son encontre.
Entre quête de légitimité et capital politique
L'épisode révèle une tension fondamentale : celle d'un homme qui aspire à la reconnaissance universelle tout en ayant bâti sa carrière sur la défiance vis-à-vis des institutions globales. En revendiquant avoir " arrêté huit guerres en huit mois " un décompte largement contesté par les experts, Trump ne s'adresse pas à la communauté académique ou diplomatique : il s'adresse à son électorat, à ses alliés stratégiques, et aux segments de l'opinion mondiale sensibles à une rhétorique volontariste.
Il érige ainsi sa propre version de l'Histoire, où il apparaît non pas comme un président clivant et polémique, mais comme un artisan de paix incompris.
Cette posture victimaire si caractéristique de son registre politique lui permet d'occuper l'espace médiatique, de marginaliser ses adversaires et de renforcer la narration d'un homme contre le monde.
En définitive, cette sortie ironique ne doit pas être lue comme une simple boutade : elle s'inscrit dans une stratégie de légitimation post-présidentielle où le Prix Nobel de la Paix devient, à défaut d'être obtenu, un instrument rhétorique pour réaffirmer une stature mondiale fût-elle construite davantage sur le verbe que sur les faits.
Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/L-amertume-tenace-de-Trump.html
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